Ce n’est pas le moindre intérêt du 2d Discours que de montrer qu’à vouloir penser rigoureusement la fondation contractuelle de l’État, il faut penser tout aussi rigoureusement, fût-ce hypothétiquement, un état antérieur dit « de nature », et que, dès que l’on va au bout de cette tâche, on s’aperçoit que ce qui a été conçu, loin de montrer en quoi l’institution de l’État civil a pu être nécessaire, en atteste au contraire la radicale contingence.
Ainsi, pour penser l’État comme un contrat, suivant la formule que Hegel reprochera à Rousseau, il faut commencer par penser un état de nature qui l’exclut, mais on s’expose alors à un dilemme : ou bien cette pensée de l’état supposé naturel ne sert à rien pour rendre compte de son abolition volontaire ; ou bien il faut attribuer à l’être humain non seulement une impuissance advenue à y demeurer, mais une capacité naturelle d’en sortir, ce qui est après tout une manière de retrouver la vérité de la vieille formule selon laquelle c’est par nature que l’homme est fait pour vivre en Cité.
Platon ne s’est peut-être jamais montré autant philosophe qu’en développant de sa propre « théorie des idées » une autocritique interne qu’Aristote eut à peine à compléter, et qu’aucun commentateur ultérieur n’a vraiment surpassée. Rousseau n’a à certains égards rien fait d’autre en prenant à charge les exigences du conventionnalisme politique moderne pour donner à celui-ci la rigueur qu’il requérait.
Si l’on veut comprendre pourquoi plus d’un auteur, au XXe siècle, jugea nécessaire de revenir à une conception du politique que ce conventionnalisme prétendait dépasser, rien ne vaut mieux qu’une relecture du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.